Pixel Art et ses pixel remix

 

Pixel Art

vit à Concón, au Chili

@pixelart_streetart

 

Ses pixel remix ont rendu l’artiste célèbre bien au-delà du Chili et sont au centre de sa recherche artistique. Sous le pseudonyme de Pixel Art, le street artiste et designer chilien Jorge Campos offre aux passants de Santiago des portraits saisissants. Ils nécessitent parfois des mois de travail, comme ce fut le cas pour El Renacer, le portrait de Salvador Dalí pixellisé et en noir et blanc. « J’ai conscience d’appartenir à une génération qui a vu naitre les jeux vidéo, l’infographie et Internet. En combinant cela au street art, nous disposons d’un grand potentiel pour exprimer notre vécu avec le langage de l’ère digitale. » Il ajoute également : « Mon travail appartient à cette ère digitale, ici et maintenant. Il est lié aux relations entre les gens et les écrans, à travers l’essence du monde digital : le pixel. » Du design à la photo, de la photo à la mosaïque, de son atelier à la rue, Pixel Art travaille donc sous le signe exclusif du pixel. Il a choisi ce nom d’artiste pour donner une vision immédiate de ce qu’il fait, pour fusionner le

genre, les œuvres, la technologie numérique utilisée et l’artiste qui les crée.

 

Après avoir vécu plusieurs années à Santiago, l’immense métropole latino-américaine capitale du Chili, Pixel Art vit aujourd’hui à Concón, sur la façade Pacifique, non loin de Valparaíso. Il est né en 1974 à Peñalolén, dans la province de Santiago. L’histoire de sa famille est ancrée dans celle du Chili : « Le cousin de ma grand-mère était Alberto Valenzuela Llanos, l ‘un des quatre plus importants peintres impressionnistes du Chili, et mon arrière-grand-père est, curieusement, le père biologique de Pablo Neruda ». Il a étudié au Liceo Lastarria, prédestiné à devenir ingénieur, mais quand il entre à l’UTEM (Universidad Tecnológica Metropolitana de Santiago), c’est en section Design. À la fin de ses études de Design et communication visuelle, il devient designer.

Mirada Alucinada, d’après le portrait de Salvador Dalí de Philippe Halsman, 2013, 320 x 130 cm, Quartier Italie, Santiago, détruit en 2014

 

Lors de son séjour à Paris en 2018, Pixel Art a posé le Pixel remix de Serge Gainsbourg sur le mur de sa maison de Saint-Germain-des-Prés et le Pixel remix de la Joconde sur le mur de la galerie d’art urbain Le Lavomatik, dans le 13e arrondissement.

 

Sa vie change en 2009, lorsqu’il séjourne deux années à Paris. Il accompagne en France sa femme qui a obtenu une bourse d’étude. Ce séjour dans la capitale française est déterminant dans son parcours : « C’est une très belle ville, j’ai commencé par la photographier, d’abord concentré sur l’architecture, mais petit à petit, j’ai découvert l’art urbain. » Il poursuit : « Tous les jours je me promenais dans ses rues et j’étais ébloui par le street art parisien. Il y avait là plusieurs styles d’expression très variés et tous très originaux. Cette expérience a été très motivante. » Il découvre les grandes figures de l’art urbain, Blek le rat, Jef Aérosol et Invader, dont il suit depuis longtemps le travail. Il peut ainsi approcher ses œuvres, dans la rue, dans des galeries et visiter l’exposition Invader 1000. Cela fait naitre chez lui l’envie de travailler sur le pixel art et sur les grilles. Invader devient une référence que Pixel Art ne manque jamais de citer.

 

De retour à Santiago en 2011, il installe un atelier, expérimente la photographie et centre son travail sur le pixel. Il pose à son tour des pièces dans la rue. Si le travail d’Invader est une référence pour lui, ce n’est pas sa seule source d’inspiration, il montre en effet un grand intérêt pour le travail de Seurat. Ses créations, les pixel remix, sont des versions revisitées par le pixel art de peintures ou de portraits d’artistes célèbres, d’emblée reconnaissables.

« Dans un geste gratuit et désintéressé envers son public », selon ses termes, il offre aux passants de Santiago, avec le langage digital familier à tous, les pixel remix des peintures de Van Gogh, de Botticelli ou de Roy Lichtenstein ; il revisite leurs portraits les plus célèbres, la Joconde, la Vénus ou Marilyn. Ainsi, une façade peinte en rose devient une galerie urbaine à ciel ouvert où les passants voient instantanément une représentation de la figure féminine à travers l’histoire de l’art.

Plusieurs mosaïques sont devenues des références : le pixel remix de l’autoportrait de Vincent van Gogh de 1889, qui mesure 3,2 m de hauteur, et qui est posée sur une façade

couverte de graffitis psychédéliques. L’artiste apprécie l’effet contrasté obtenu en s’éloignant de la mosaïque, mais aussi les discussions qu’elle a suscitées dans la communauté et les remarques des passants qui reconnaissent l’image de van Gogh. Le choix d’un léger contour blanc fait ressortir le buste et le visage noble et grave : c’est la technique du surcontour utilisée dans le graffiti pour faire ressortir un portrait, lointain héritage de la ligne de tesselles qui entourait les personnages de la mosaïque antique.

Pixel Art réalise également, dans un style photographique, les portraits d’artistes qu’il admire, celui de Neruda, posé dans le quartier de Bellavista, ou celui de Ludwig van Beethoven. Il explique avoir trouvé, en réalisant cet hommage, un traitement de la couleur qui rend le résultat plus pop. Par ses couleurs contrastées, le portrait ressort de manière intense sur le gris de la ville. « Beethoven transmet beaucoup d’énergie pour permettre d’agir en faveur de l’art, il est très inspirant. »

 

Avec la première fresque murale en hommage à Salvador Dalí, le spectateur est littéralement happé par les pupilles dilatées de son regard en contre-plongée. Cette pièce sera brisée à l’aide d’un marteau en 2015 par le locataire du lieu. Pixel Art décide de lutter contre la bêtise de ce geste en réalisant une pièce beaucoup plus grande, qu’il intitule El Renacer. C’est une grande fresque en noir, gris et blanc, située au 161 rue Curicó à Santiago, stupéfiante, où on retrouve, au milieu du visage, les yeux immenses et hypnotiques de Salvador Dalí.

Au 588 de la rue Santo Domingo, on peut entreprendre, depuis 2018, un voyage cinétique, Viaje Cinético (Production Galería Lira), en chaussant des lunettes 3D.

 

Pixel Art rêvait de revenir à Paris, rêve qu’il réalise en 2018.

« Paris, je t’aime moi non plus, ce que cette ville un jour m’a offert, aujourd’hui je le lui rends »… sous la forme d’un pixel remix bien entendu.

Vénus, Santiago Hommage à Pablo Neruda, 2014, 194 x 210 cm, Santiago

 

Ainsi, en octobre 2018, il rajoute un hommage aux multiples graffitis et dessins existants et pose le portrait de Gainsbourg sur le mur de sa maison du 5 bis rue de Verneuil à Saint- Germain-des-Prés, où la vedette est décédée en 1991. Au cours de son séjour parisien, Pixel Art a aussi posé une Joconde pixellisée sur le mur de la mythique galerie d’art urbain du Lavomatik, dans le 13e arrondissement. Ce séjour a été l’occasion de rencontrer un pionnier du pixel art, Fabio Rietti, et de réaliser avec lui sous l’égide de la mairie de Paris, une exposition consacrée au pixel art réunissant par là même deux générations d’artistes. Représenté par la galerie Lira de Santiago, il participe à la foire internationale d’art urbain, District13 qui s’est tenue à l’hôtel Drouot à Paris en septembre 2018 et où il dévoile des œuvres beaucoup plus intimistes. On le reverra à Paris, à l’exposition inaugurale de l’ErbK Gallery en juillet 2020, avec entre autres le portrait de Janet Leigh immortalisée par l’affiche du film Psychose, d’Hitchcock.

 

Le Chili ne traite pas toujours bien ses artistes. À l’heure où il s’avère nécessaire de donner une visibilité à la culture mapuche, être un artiste au patronyme espagnol qui revendique une influence artistique française n’est pas toujours simple. « Qu’y puis-je, si mon inspiration est née à Paris ? Si elle vient des français Invader et Seurat ? » À Santiago, le street art, qu’il soit sous la forme de graffitis ou de murales, est très homogène et, selon Pixel Art, peu inspirant. Ainsi, bien qu’il soit l’un des artistes urbains les plus populaires au Chili, Pixel Art se considère comme un outsider sur sa propre scène. Le financement des œuvres posées dans la rue est un point à prendre en considération. On comprend la difficulté quand on

sait que la mosaïque intitulée El Renacer a nécessité 38 500 pixels, c’est-à-dire en pratique autant de carreaux de pâte de verre et six mois de travail intensif. Elle a couté plus de 400 000 pesos (c’est de l’ordre d’un salaire mensuel moyen) en verre et 80 000 pesos en encre.

Pixel Art travaille seul, sans le soutien d’une équipe. Il combine son travail de designer et celui de street artiste et exécute l’un et l’autre à partir d’une même recherche artistique. Et même si son travail n’est pas bon marché, l’artiste a fait le choix de financer son travail d’artiste urbain par son travail de designer, l’obtention de financements étant pratiquement impossible et la participation à des concours se révélant trop souvent être une perte de temps. Il le fait d’autant plus volontiers que le public accueille toujours très favorablement et respecte ces œuvres de pixel remix réalisées en pâtes de verre. Chacune est accompagnée d’un QR code qui permet au passant d’en savoir davantage à propos de l’œuvre qui a inspiré le pixel remix devant lequel il se trouve. Pixel Art est convaincu du rôle social de l’art, de l’impact que peut avoir chaque pièce. C’est pour lui un combat contre la médiocrité, un moyen de dénoncer la décadence culturelle du petit écran devenu trop souvent la seule source de culture.

Il ne suffit pas de lever le poing, de peindre des colombes ou des profils de mapuches sur les murs. La révolution politique a montré ses limites au cours des dernières décennies. La violence est économique et les gouvernements ne font rien contre cela. La communauté artistique souffre, comme la société tout entière, des avantages attribués à un petit nombre d’élus. C’est pourquoi, pour l’artiste, la révolution doit être non

pas politique mais culturelle.